Interview

Le genre, une catégorie d’analyse utile pour l’ergothérapie ?


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Selon une recherche menée en 2010, les ergothérapeutes ne seraient pas ou peu consciente·ex de la manière dont iels contribuent à reproduire les stéréotypes de genre auprès de leur clientèle. Dès lors, Léa Nussbaumer, assistante HES du Réseau Occupations humaines et santé (OHS), a analysé les discours (re)produits sur le genre par la recherche en ergothérapie et sur les occupations ces cinq dernières années. En 2022, ses résultats confirment l’importance de développer une perspective critique sur le genre dans les domaines de l’ergothérapie et de l’étude des occupations humaines, et ce afin de limiter la reproduction d’injustices sociales et occupationnelles dans un contexte patriarchal et hétéronormé. Interview

Léa Nussbaumer

Léa Nussbaumer

Que sait-on des liens entre genre et ergothérapie ?

Si de nombreuses recherches sont déjà parues sur le genre et les occupations, les liens entre genre et ergothérapie ont été très peu explorés. Tout au plus quelques pistes d’actions ont été proposées, mais elles ne semblent pas spécifiques à l’ergothérapie. En comparaison, le travail social a dernièrement fait un travail remarquable, notamment par la création, en collaboration avec le Réseau Genre et travail social (GeTS), du Réseau Genre et Jeunesse, qui vise à favoriser les échanges entre les acteurices de terrain ainsi qu’avec les chercheur·e·s. C’est d’ailleurs en collaboration avec le GeTS que le réseau OHS organise la conférence du 6 décembre. Je me réjouis particulièrement de pouvoir entendre les ergothérapeutes sur leurs réalités du terrain et leurs éventuels besoins en rapport au genre. Il reste à voir si le genre peut (doit) être traité de manière disciplinaire. Je veux dire par là, bien qu’il y ait certes une spécificité possible de l’ergothérapie, il semble y avoir surtout des éléments à apporter en tant que professionnellex de la santé et du social. 

« Si de nombreuses recherches sont déjà parues sur le genre et les occupations, les liens entre genre et ergothérapie ont été très peu explorés. »

Comment s’est déroulée cette recherche ?

Je me suis intéressée aux effets oppressifs potentiels des discours contenus dans les études scientifiques en ergothérapie et en sciences de l’occupation qui différencient les femmes et les hommes. J’ai analysé de manière critique les effets naturalisant des discours, soit des discours qui attribuent les spécificités observées chez les femmes ou chez les hommes à des facteurs supposés naturels. Au travers d’une analyse critique de discours éclairée par les études genre, j’ai pu visibiliser comment les discours contenus dans les recherches analysées contribuent à la perpétuation et à la reproduction d’un ordre social genré. Entre autres choses, les résultats ont mis en évidence que les caractéristiques ou actions des femmes sont davantage problématisées ou pathologisées que celles des hommes. De tels résultats contribuent à visibiliser un ordre social inégalitaire et à attirer l’attention des ergothérapeutes et chercheur·e·s en sciences de l’occupation sur ces questions. 

« Au travers d’une analyse critique de discours éclairée par les études genre, j’ai pu visibiliser comment les discours contenus dans les recherches analysées contribuent à la perpétuation et à la reproduction d’un ordre social genré. »

Quelles sont les pistes de réflexion pour la pratique des ergothérapeutes ?

Avec de tels résultats, on imagine bien que les ergothérapeutes reproduisent aussi des discours oppressifs dans leurs pratiques. Il est primordial que les ergothérapeutes prennent davantage conscience des barrières structurelles qui limitent les possibilités occupationnelles des individus et génèrent éventuellement de l’injustice sociale et occupationnelle. Mais concrètement ça veut dire quoi ? Et comment on fait ? Pour le savoir, rendez-vous le 6 décembre !